Comment les personnes non juives peuvent participer aux offices?

Les offices sont un moment de rassemblement communautaire et de partage. Les personnes non juives y sont les bienvenues. Quelle sont les façons justes pour elles d’être accueillies et de participer? Le Rabbin Yann Boissière et la commission « affirmer notre identité » ont voulu partager leur approche de la prière juive dans un petit livret accessible au MJLF. Cet article en reprend des extraits. Merci à eux pour ce partage.

● Rappelons tout d’abord qu’une longue lignée de décisionnaires (Abraham bar Hiyya, Maïmonide, le Meïri), depuis le Moyen Age, fut unanime à considérer les chrétiens et les musulmans comme authentiquement monothéistes et contribuant à ce titre (traité Houlline 13b) à préparer l’ère messianique. Le Talmud avait déjà établi auparavant l’obligation de procéder à certains actes rituels en faveur des chrétiens ou des païens, selon le principe mipné darké shalom (« au nom des voies de la paix ») : entre autres visiter les malades, aider les pauvres, enterrer les morts (traité Guittine 59b).

● Dans le domaine liturgique également, il était de haute tradition que les personnes non juives puissent venir prier au Temple, et le passage de I Rois, 8, 41-43 nous montre Salomon insistant pour que leurs prières soient entendues. Les sacrifices offerts par des païens étaient considérés comme acceptables au Temple, tout comme le don d’objets tels que la menora (candélabre à sept branches) à une synagogue (traité Arakhine 6b).

● Depuis l’époque babylonienne, des prières publiques en faveur des dirigeants de l’Etat font partie intégrante de l’office, tout comme l’on mentionne dans nos synagogues les noms des défunts, quelle que soit leur religion, avant la récitation du Kaddish.
Prêtres et imams sont régulièrement accueillis dans nos communautés libérales pour participer à des lectures de textes ou délivrer un discours à la communauté.

● De même, dans le cas d’une famille mixte qui célèbre la bar ou bat-mitsva de son enfant, le parent non juif est invité à participer à la cérémonie, de sorte que la célébration inclue toute la famille de manière égale. De façon générale, dans la mesure où le judaïsme libéral affirme qu’une part essentielle de la Tradition consiste en un message éthique et prophétique adressé à toutes les Nations, et prône une nécessaire ouverture à la cité et à la modernité, les personnes non juives sont tout à fait bienvenues et invitées à fréquenter nos synagogues.

● Cette ouverture, toutefois, n’est pas sans limite, et le judaïsme libéral n’a jamais abandonné l’idée qu’Israël constitue une communauté distincte par son histoire et sa destinée. La vision du peuple juif en tant que peuple, autrement dit comme communauté définie par une histoire et une identité communes, n’a jamais disparu.

● A ce titre, la synagogue est clairement une institution juive, et les offices qui s’y déroulent ne peuvent être considérés uniquement comme une méditation personnelle et spirituelle. Un office constitue également la réaffirmation collective et publique de notre identité juive et de notre adhésion à l’Alliance contractée entre Dieu et le peuple d’Israël. L’accès à la communauté juive étant par ailleurs possible, de manière connue, par filiation ou par conversion, prétendre qu’une personne non juive n’ayant pas formellement adopté le judaïsme puisse jouer un rôle liturgique équivalent à une personne juive reviendrait à porter atteinte à la valeur des notions d’Alliance et d’identité juive.

● Une personne non juive, ainsi, ne pourra diriger tout ou partie d’un office public, « public » étant compris ici selon la catégorie traditionnelle de la tefilla bé-tsibbour, la « prière communautaire ». Sont également exclues toutes les prières constituant une tefillath hova, une « prière obligatoire », telle la récitation du Shema Yisraël, de la Amida et de toutes les prières nécessitant un miniane (minimum de 10 personnes), comme la lecture de la Torah ou le Kaddish.
D’une manière générale, la participation à l’ensemble du rituel de la lecture de la Torah sera réservée aux personnes juives, tout comme la lecture des passages liturgiques incluant la récitation d’une bénédiction (qui implique l’acceptation formelle des mitsvoth, des « commandements).

● En revanche, une personne non juive pourra :
a/ Participer à toute partie liturgique ne nécessitant pas une affirmation spécifique (comme accompagner un enfant à la bima lors d’une bar ou bat-mitsva). La lecture en français de la parasha (section hebdomadaire de la Torah) ou de la haftara (passage des prophètes associé chaque semaine à la parasha) fait partie, dans notre communauté, de ces lectures permises.
b/ Réciter des prières spéciales lors d’offices, de commémorations ou de célébrations impliquant des offices non liturgiques.
c/ S’adresser à la communauté dans des discours de nature non liturgique.
Les personnes non juives peuvent donc assister, voire participer aux offices, et ainsi exprimer leur attachement à la communauté, sans que soit altérée l’intégrité distinctive d’une congrégation juive religieuse.

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7 raisons et 7 versets en faveur de l’étranger

chevrati

 

La Torah écrite, le pentateuque dans sa perception juive, cite souvent l’étranger pour rappeler les obligations de chacun à son égard. Nous avons parlé du sens ce ce respect dans notre précédent article, « Aimer le converti ».

 

Notre histoire, notre empathie, notre volonté d’imiter Dieu dans ses qualités, la demande expresse faite par Dieu, notre amour de la justice, la logique qui veut que ceux qui ont les mêmes devoirs partagent les mêmes droits, et notre promesse solennelle nous font obligation de protéger l’étranger.

Le lévitique mentionne l’obligation d’aimer l’étranger à peine quelques versets après le célèbre « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »:
Lev 19 :33,34
Si un étranger vient séjourner avec toi, dans votre pays, ne le molestez point. 34 Il sera pour vous comme un de vos compatriotes, l’étranger qui séjourne avec vous, et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers dans le pays d’Egypte je suis l’Éternel votre Dieu.
וְכִי-יָגוּר אִתְּךָ גֵּר, בְּאַרְצְכֶם–לֹא תוֹנוּ, אֹתוֹ. לד כְּאֶזְרָח מִכֶּם יִהְיֶה לָכֶם הַגֵּר הַגָּר אִתְּכֶם, וְאָהַבְתָּ לוֹ כָּמוֹךָ–כִּי-גֵרִים הֱיִיתֶם, בְּאֶרֶץ מִצְרָיִם: אֲנִי, יְהוָה אֱלֹהֵיכֶם.

Ce passage souligne l’empathie naturelle que nous devons éprouver compte tenu de notre histoire: nous savons ce qu’est la condition d’étranger, et nous ne devons pas « faire à autrui ce que nous ne voulons pas subir ». L’empathie nous enjoint de le protéger.

Dans le Deutéronome, Dieu se pose lui-même comme le gardien des opprimés, et ici également le guer est mentionné:
Deut 10 :17-19
Car l’Éternel, votre Dieu, c’est le Dieu des dieux et le maître des maîtres, Dieu souverain, puissant et redoutable, qui ne fait point acception de personnes, qui ne cède point à la corruption; 18 qui fait droit à l’orphelin et à la veuve; qui témoigne son amour à l’étranger, en lui assurant le pain et le vêtement. 19 Vous aimerez l’étranger, vous qui fûtes étrangers dans le pays d’Egypte!
כִּי, יְהוָה אֱלֹהֵיכֶם–הוּא אֱלֹהֵי הָאֱלֹהִים, וַאֲדֹנֵי הָאֲדֹנִים: הָאֵל הַגָּדֹל הַגִּבֹּר, וְהַנּוֹרָא, אֲשֶׁר לֹא-יִשָּׂא פָנִים, וְלֹא יִקַּח שֹׁחַד. יח עֹשֶׂה מִשְׁפַּט יָתוֹם, וְאַלְמָנָה; וְאֹהֵב גֵּר, לָתֶת לוֹ לֶחֶם וְשִׂמְלָה. וַאֲהַבְתֶּם, אֶת-הַגֵּר: כִּי-גֵרִים הֱיִיתֶם, בְּאֶרֶץ מִצְרָיִם
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Ici encore, le positionnement divin en faveur des faibles soit se traduire par une obligation de tous de les défendre, de même que le Dieu de liberté nous a défendu dans notre faiblesse lorsque nous étions étrangers en Égypte. Nous devons agir à l’image de Dieu.

Au delà de l’amour qui peut sembler une notion un peu vague, c’est le droit au sens strict du terme qui doit être garanti:
Deut 24 :18
Ne fausse pas le droit de l’étranger ni celui de l’orphelin, et ne saisis pas comme gage le vêtement de la veuve. 18 Rappelle-toi que tu as été esclave en Egypte et que l’Éternel, ton Dieu, t’en a affranchi; c’est pour cela que je t’ordonne d’agir de la sorte.
לֹא תַטֶּה, מִשְׁפַּט גֵּר יָתוֹם; וְלֹא תַחֲבֹל, בֶּגֶד אַלְמָנָה. יח וְזָכַרְתָּ, כִּי עֶבֶד הָיִיתָ בְּמִצְרַיִם, וַיִּפְדְּךָ יְהוָה אֱלֹהֶיךָ, מִשָּׁם; עַל-כֵּן אָנֹכִי מְצַוְּךָ, לַעֲשׂוֹת, אֶת-הַדָּבָר, הַזֶּ
ה

Le passage suivant pose l’égalité de droit et de devoir de ceux qui veulent s’adjoindre aux hébreux. Pour les questions rituelles, l’étranger qui veut participer à la vie spirituelle juive doit également en accepter les principes, en particulier la circoncision. On notera que c’est la seule condition posée par la Torah elle-même en termes d’entrée dans le judaïsme. Bien sûr, nous savons que le judaïsme rabbinique s’appuie principalement sur la torah orale, de telle sorte que le processus actuel inclut la circoncision mais demande également d’autres types d’engagements. On retiendra que l’étranger peut s’adjoindre aux pratiques religieuses des bné israel et en partage alors les prérogatives:
Exode 12 :48
Si un étranger, habite avec toi et veut célébrer la pâque du Seigneur, que tout mâle qui lui appartient soit circoncis, il sera alors admis à la célébrer et deviendra l’égal de l’indigène; mais nul incirconcis n’en mangera. 49 Une seule et même loi régira l’indigène et l’étranger demeurant au milieu de vous.
וְכִי-יָגוּר אִתְּךָ גֵּר, וְעָשָׂה פֶסַח לַיהוָה–הִמּוֹל לוֹ כָל-זָכָר וְאָז יִקְרַב לַעֲשֹׂתוֹ, וְהָיָה כְּאֶזְרַח הָאָרֶץ; וְכָל-עָרֵל, לֹא-יֹאכַל בּוֹ. מט תּוֹרָה אַחַת, יִהְיֶה לָאֶזְרָח, וְלַגֵּר, הַגָּר בְּתוֹכְכֶם

Nombres 9 :14
Et si un étranger habite avec vous et veut faire la Pâque en l’honneur de l’Éternel, il devra se conformer au rite de la Pâque et à son institution: même loi vous régira, tant l’étranger que l’indigène.
וְכִי-יָגוּר אִתְּכֶם גֵּר, וְעָשָׂה פֶסַח לַיהוָה–כְּחֻקַּת הַפֶּסַח וּכְמִשְׁפָּטוֹ, כֵּן יַעֲשֶׂה: חֻקָּה אַחַת יִהְיֶה לָכֶם, וְלַגֵּר וּלְאֶזְרַח הָאָרֶץ

La fin du Deutéronome reprend ces principes et pose des garanties pour l’avenir: Alors qu’ils sont encore dans le désert, les enfants d’Israël doivent déjà prévoir la mise en place des droits de l’étranger à travers la cérémonie solennelle qui aura lieu sur le mont Héval, au moment de l’entrée en Canaan, lorsque les prêtres énonceront les interdits fondateurs et que le peuple entier devra répondre « amen »:
Deut 27 :21
Maudit, celui qui fausse le droit de l’étranger, de l’orphelin ou de la veuve! » Et tout le peuple dira: Amen! אָרוּר, מַטֶּה מִשְׁפַּט גֵּר-יָתוֹם–וְאַלְמָנָה; וְאָמַר כָּל-הָעָם, אָמֵן.

Nous devons être respectueux de l’Étranger et du converti car nous en avons fait la déclaration solennelle au moment d’entrer en Canaan.

A l’époque biblique, la « conversion » se déroule par intégration, et toutes ces lois sont destinées à permettre que cette intégration se fasse de façon respectueuse et viable, humaine.
Aujourd’hui, la « conversion » se déroule comme un processus qui inclut l’intégration à une communauté, et en ce sens, toutes les lois de bienveillance mentionnées par la torah sont applicables.
Ce chemin de l’entrée dans le judaïsme est différent dans la mesure où le peuple juif en France existe en tant que minorité. S’intégrer à une minorité représente une difficulté particulière. C’est la raison pour laquelle ceux qui veulent « venir nous rejoindre » sont plus que jamais invités à peser leur décision.

Mais c’est également la raison pour laquelle il nous appartient de les accueillir avec toute la bienveillance possible et de reconnaitre le mérite qu’ils ont à effectuer ce choix courageux.