La place du français et de l’hébreu.

Les offices libéraux incluent à la fois le français et l’hébreu. Que signifie ce bilinguisme? Le Rabbin Yann Boissière et la commission « affirmer notre identité » ont voulu partager leur approche de la prière juive dans un petit livret accessible au MJLF. Cet article en reprend des extraits. Merci à eux pour ce partage.

● L’introduction de la langue vernaculaire dans les offices a été l’un des tout premiers effets de la volonté de réformer la liturgie au début du 19e siècle. Elle a aussi déclenché moult débats sur la légitimité d’utiliser une langue autre que la « langue sainte » dans une prière adressée à Dieu. Ces questions, à vrai dire, avaient déjà été posées par le Talmud (TB traité Sota 33a), et ce dernier y répondait favorablement. De nombreux décisionnaires, dont Maïmonide, ont confirmé par la suite cette approche en insistant sur l’impératif de comprendre ce que l’on dit.

● Un certain universalisme, typique du 19e siècle, a pu jouer – très temporairement – en défaveur de l’hébreu dans le milieu réformateur allemand ; ainsi, lors de la Conférence rabbinique de Francfort de 1845, a été votée une motion qui, sans aller jusqu’à prôner sa suppression, a déclaré qu’il n’y avait pas de nécessité légale objective à maintenir l’hébreu dans les offices. C’est cette mesure qui provoqua la rupture de ce qui allait devenir par la suite le judaïsme conservative (massorti).

● Aujourd’hui, un retour de balancier a depuis longtemps réintroduit l’hébreu comme une dimension essentielle de l’empreinte juive des offices, sans parler de son intérêt pédagogique pour maintenir sa connaissance chez les fidèles. Chaque communauté détermine sa position du curseur entre l’hébreu et le français.

● Traditionnellement, le MJLF a toujours penché pour une valorisation importante de la langue hébraïque comme vecteur fondamental de la spiritualité d’Israël.
L’équilibre hébreu-français, sans cesse à reconsidérer, n’est d’ailleurs pas affaire exclusive de traduction. Une spécificité bien ancrée du MJLF veut que des commentaires explicatifs de l’officiant sur tel ou tel aspect de la prière soient donnés en français au cours de l’office. Ceux-ci permettent, d’une part, de créer une sorte de dialogue avec l’assemblée des fidèles, d’autre part d’assurer une fonction d’accueil non négligeable envers les personnes qui ne sont pas familières des offices. Ils contribuent, enfin, à une compréhension plus profonde de la liturgie et à une meilleure implication spirituelle des personnes présentes.

Publicité

La musique pendant les offices est-elle autorisée ?

La musique pendant les offices est l’une des différences les plus sensibles entre les offices libéraux et les offices orthodoxes. Le Rabbin Yann Boissière et la commission « affirmer notre identité » ont voulu partager leur approche de la prière juive dans un petit livret accessible au MJLF. Cet article en reprend des extraits. Merci à eux pour ce partage.

● La conscience de besoins spirituels nouveaux, au début du 19e siècle, a amené les premiers réformateurs à rénover les offices religieux dans le sens d’une esthétique propre à susciter l’émotion spirituelle : la musique, et tout particulièrement l’accompagnement des prières par l’orgue (et les chœurs) a été un facteur décisif dans ce renouvellement. Les juifs allemands, de ce point de vue, avaient clairement en tête le modèle des offices protestants.

● L’introduction de l’orgue déclencha la colère des opposants à toute réforme (dénommés plus tard « orthodoxes ») et suscita une abondante littérature, à la fois polémique et informée, sur la légitimité de cet accompagnement musical.

● Les opposants eurent notamment recours aux arguments suivants, d’ailleurs classiques dans la littérature halakhique : une personne juive ne pouvait jouer d’un instrument pendant Shabbath ou pendant les fêtes de peur que, si celui-ci était endommagé, elle n’en vienne à opérer une réparation, laquelle constituerait alors une violation de l’interdiction de travailler. L’interdiction biblique d’imiter la pratique des peuples idolâtres était également invoquée ; tout comme l’argument selon lequel la musique dans la liturgie synagogale était inconvenante depuis la destruction du Temple.

● Les réformateurs, de leur côté, alléguèrent qu’il n’existe plus de peuple idolâtre et qu’une inspiration empruntée à d’autres cultures, lorsqu’elle est mise au service d’un but noble, est tout à fait louable. D’autre part, la connaissance historique indique clairement que les Lévites jouaient de la musique dans le Temple, et qu’il avait été fait longtemps usage de l’orgue dans la synagogue de Prague (et ce, donc, bien après la destruction du Temple). Par ailleurs, un grand codificateur comme Moïse Isserlès (1530-1572) permettait un accompagnement musical dans le but d’observer un commandement – la prière étant un tel commandement.

● Enfin, les tenants de la Réforme argumentèrent que l’accompagnement musical (orgue ou autres instruments) avait pour vertu de provoquer hitoréroute ha-nefesh, « l’éveil de l’âme ». C’est sans doute

Qu’est-ce que le Kaddish?

Le Kaddish est une prière à plusieurs façettes. Le Rabbin Yann Boissière et la commission « affirmer notre identité » ont voulu partager leur approche de la prière juive dans un petit livret accessible au MJLF. Cet article en reprend des extraits. Merci à eux pour ce partage.

● Le Kaddish est l’une des prières fondamentales, et sans doute l’une des plus connues, de la liturgie juive. Autour d’un texte central, dont le thème est la sanctification du Nom de Dieu, existent diverses variations possibles qui, au final, donnent naissance à cinq textes de Kaddish différents. L’une de ces variantes, le Hatsi-Kaddish (« demi-kaddish »), sert à séparer les différentes parties de l’office — le mouvement libéral a d’ailleurs supprimé un certain nombre de ces répétitions.

● La variante la plus connue est le Kaddish yatome, le « Kaddish des endeuillés ». Il est récité vers la fin de chaque office, après la mention des noms des personnes disparues. C’est sans doute cette dernière version qui donne au Kaddish sa notoriété, mais le plus souvent au prix d’une idée fausse : passant parfois pour « la prière des morts », le texte ne comporte en fait aucun allusion ni à la mort ni aux défunts.

● Le Kaddish a été rédigé — et se récite encore de nos jours — en araméen, la langue source de l’hébreu (et de l’arabe). Une explication folklorique, souvent mentionnée, avance le fait que « les anges ne parlent pas araméen » ; réciter le Kaddish en cette langue permettrait donc de les troubler et de limiter leur influence éventuellement néfaste pour l’âme des défunts !
La raison historique, toutefois, est que l’araméen est devenu très tôt dans l’histoire d’Israël la langue vernaculaire ; l’importance du Kaddish étant majeure aux yeux de nos Sages, ces derniers ont opté pour une formulation en araméen, langue alors parlée par tous, pour que chacun puisse la réciter et la comprendre.

Le rôle des bar / bat-mitsva.

La bar mitsva et la bat mitsva sont des moments d’accueil de nos jeunes. Les jeunes adultes jouent un rôle d’officiant.e à cette occasion. Le Rabbin Yann Boissière et la commission « affirmer notre identité » ont voulu partager leur approche de la prière juive dans un petit livret accessible au MJLF. Cet article en reprend des extraits. Merci à eux pour ce partage.

● Vous assistez peut-être ce Shabbath à un office où un(e) bar / bat-mitsva (ou plusieurs) se trouve présent(e) à la téva (« pupitre ») et co-dirige la prière avec l’officiant. Cela exprime l’importance accordée à l’enseignement dans les communautés libérales et à ce moment de passage à la majorité religieuse qu’est la bar / bat-mitsva.

● Ce passage à la majorité religieuse marque un certain niveau de connaissances du judaïsme, acquis au Talmud-Tora, et la conscience d’un nouveau degré de responsabilité vis-à-vis de Dieu, de la tradition et de la communauté. Il se traduit rituellement, au sein de l’espace de la synagogue, par les éléments suivants : le bar ou la bat-mitsva revêt pour la première fois le taleth et les tefillines (lors de l’office du lundi ou du jeudi matin), lit pour la première fois dans la Torah, commente la parasha de la semaine lors de sa drasha (voir ci-dessus) et compte désormais dans le miniane, ce quorum minimal de dix personnes nécessaire à l’accomplissement de certains actes rituels (la sortie du séfère-Torah, par exemple).

● Le mouvement libéral, dès ses débuts, a pensé intégrer le bar ou la bat-mitsva dans l’animation des offices. Loin de se contenter de monter à la téva au moment de la lecture de la Torah pour lire son passage, le bar ou la bat-mitsva se prépare très longtemps pour cette cérémonie — pas moins de 18 mois au MJLF. En plus de son apprentissage général et d’une sensibilisation à la responsabilité impliquée par son nouveau statut, il doit donc maîtriser la liturgie et être capable de mener la communauté dans la prière.

● Pour autant, les offices ne sont pas « les offices du bar-mitsva ». Ainsi, un office de Shabbath matin où se célèbre une bar ou une bat-mitsva demeure avant tout un office de Shabbath, au sein duquel le bar ou la bat-mitsva s’insère.

Une femme peut-elle porter le taleth ?

Le Taleth est un symbole important dans la tradition juive. Le Rabbin Yann Boissière et la commission « affirmer notre identité » ont voulu partager leur approche de la prière juive dans un petit livret accessible au MJLF. Cet article en reprend des extraits. Merci à eux pour ce partage.

● Le taleth est un châle de prière. Outre que le porter est un commandement de la Torah (Nbr. 15, 37-41 ; Deut. 22, 12), sa signification est hautement symbolique, car ses franges rituelles (appelées « tsitsith ») nouées aux quatre coins représentent les mitsvoth (« commandements »). Se revêtir du taleth, c’est donc manifester de façon très concrète son acceptation des enseignements du judaïsme.

● Selon un principe soutenu par le judaïsme traditionnel (et contesté par les mouvements libéraux), les femmes seraient exemptes de tous les commandements positifs (les commandements de la forme « tu feras ») liés à un temps précis. Le port du taleth fait partie de cette catégorie de commandements et, à ce titre, les femmes en seraient dispensées. En pratique, les femmes ne portent pas le taleth dans les synagogues traditionnelles – notons au passage que « l’exemption » s’est muée, ici comme en de nombreux autres domaines, et de façon tout à fait indue, en « exclusion ».

● En revanche, dans les synagogues libérales, et appliquant en cela le principe d’égalité qui est un des piliers des mouvements libéraux, les femmes peuvent porter le taleth si elles le souhaitent (de même que la kippa, de même que les tefillines).

Comment se déroule l’office du vendredi soir?

L’office du vendredi soir est le moment où la communauté se retrouve pour entrer dans le Chabbat. Le Rabbin Yann Boissière et la commission « affirmer notre identité » ont voulu partager leur approche de la prière juive dans un petit livret accessible au MJLF. Cet article en reprend des extraits. Merci à eux pour ce partage.

● La prière juive a été conçue par nos sages comme un véritable scénario spirituel destiné à nous élever, progressivement, jusqu’à des moments d’authentique dialogue, voire d’intimité avec Dieu. Elle a été comparée à l’échelle de Jacob qui, de barreau en barreau, construit le lien entre la terre et le ciel.
● Ces différentes étapes dans l’élévation se retrouvent dans la structure de la prière, dont chacune des différentes parties est construite autour d’une thématique propre.

L’office du vendredi soir comporte plusieurs grandes articulations, qui sont les suivantes.

■ L’allumage des bougies de Shabbath :
● C’est au sein des communautés libérales que ce rite, à l’origine domestique, a migré vers l’office du vendredi soir. Trois raisons ont été données par la Tradition pour cet allumage des bougies : kevode Shabbath (« l’honneur du Shabbath »), Oneg Shabbath (« le délice du Shabbath ») et le shalom baït (« la paix du foyer »), laquelle exige de bien voir les visages de chacun.
● L’allumage constitue le tout premier acte du Shabbath, car c’est par la récitation de la bénédiction que nous acceptons la sainteté du Shabbath.
● Deux bougies sont allumées, en référence aux deux versions de l’injonction biblique concernant la sanctification du Shabbath : celle de Ex. 20, 8 énonçant zakhor (« souviens-toi ») et celle de Deut. 5, 12 énonçant shamor (« garde, observe »).
● Ce sont les femmes qui, dans les synagogues traditionnelles, allument les bougies du Shabbath, en référence à un commentaire passablement misogyne sur la nécessité de réparer une faute commise par Eve. Bien que le judaïsme libéral ne fasse pas cas de cette explication et, en principe, permette aux hommes d’allumer, la pratique traditionnelle a tendance à se maintenir, l’allumage étant vécu comme un acte positif de spiritualité.
● Dans le judaïsme traditionnel, les bougies sont allumées en fonction de l’horaire, variable chaque semaine, de shéquiyate ha-hama, du « coucher du soleil », auquel sont ajoutées antérieurement un temps de 18 minutes. Dans le judaïsme libéral, les offices publics se déroulent à heure fixe, afin de permettre la venue d’une audience la plus large possible, et pour que soit pleinement réalisée la mitsva de tefilla bé-tsibbour (« prière en communauté »).

■ La kabbalath Shabbath (« accueil du Shabbath ») :
● Ce sont les maîtres de la kabbale de Safed qui, au 16e siècle, ont ajouté cette séquence de prières, essentiellement constituée de six psaumes et du chant Lekha dodi. Les psaumes représentent les six jours de la semaine.
● Le Lekha dodi (« Viens ma bien-aimée ») file la métaphore d’un Shabbath présenté sous les traits d’une fiancée que l’on accueille – et dont la communauté d’Israël serait symboliquement le fiancé.
● Cette image est prise au pied de la lettre lorsque, à la fin du chant, nous nous tournons vers la porte en nous inclinant, saluant la Princesse Shabbath en personne…

■ Le Shema Yisraël et ses bénédictions :
● Cette troisième partie commence par un appel public à la prière, le Barékhou (« bénissez »), qui nécessite la présence d’un miniane (quorum d’au moins dix fidèles adultes).
● La prière du Shema, proclamation de l’unité divine, est composée de trois paragraphes tirés de la Torah ; elle est encadrée de trois bénédictions, deux avant et une après, dont les thématiques représentent une gradation : Création, Révélation et Rédemption.
● Le soir, une quatrième bénédiction de « protection » est ajoutée.

■ La Amida (« prière debout ») :
● Elle est censée représenter le summum de l’élévation spirituelle au sein de l’office. Nous nous tenons debout devant Dieu, les pieds joints, « comme les anges » disent nos Sages.
● La Amida, en ce jour de Shabbath, est composée de 7 bénédictions (contre 19 un jour de semaine) et insiste particulièrement, dans la bénédiction centrale, sur la sainteté du jour de Shabbath.

■ La drasha (« commentaire ») :
● La drasha, au sens large, est un « commentaire ». Au sens où ce mot est employé au sein de nos offices, il s’agit d’un commentaire ou d’un sermon, généralement délivré par le rabbin, sur la parasha de la semaine (portion de la Torah lue chaque semaine).
● Le mot « drasha » est dérivé d’une racine [daleth – resh – shine] signifiant « exiger », et dont la forme verbale lidrosh est employée pour la première fois dans la Bible au sujet d’Esdras. C’est ce dernier qui, au 5e siècle av. è. c. (au 4e siècle av. è.c. selon certains), instaura la lecture publique de la Torah. Le verset Es. 7, 10 nous dit qu’il se livrait à l’activité de lidrosh ète ha-Torah, « étudier la doctrine de l’Eternel ». La toute première forme, selon nos Sages, de « commentaire »…
● Pourquoi ce terme, lidrosh, « exiger » ? La manière spécifiquement juive de lire la Bible et de la commenter est en effet d’« exiger » d’un verset qu’il nous livre davantage que ce qu’il semble a priori signifier. C’est cette « exigence » qui a fondé un véritable art d’interpréter, « l’herméneutique juive », que l’on appelle drasha.
● Là où la drasha, dans les communautés traditionnelles, s’attachait généralement à exposer en hébreu quelque point halakhique (concernant la Loi juive), le mouvement réformé a opté dès ses débuts pour un « sermon », délivré dans la langue du pays et visant à élever l’âme des fidèles. Par l’ampleur de sa rhétorique et sa hauteur de vue spirituelle, le Prediger (« prédicateur ») a créé une fonction liturgique distincte dans la Réforme allemande du 19e siècle ; il en fut de fameux, qui drainaient littéralement les foules le vendredi soir !
● Les mouvements libéraux ont globalement conservé cette valorisation de la drasha du vendredi soir. Qu’elle soit développée comme une exégèse textuelle ou traite de façon plus directe de l’actualité, elle s’efforce toujours, en lien avec la parasha de la semaine, mais sans craindre de faire appel à des sources autres que celles de la tradition, de tirer du texte de la Torah une leçon de sens pour aujourd’hui.

■ La récitation du Kiddoush (« sanctification »):
● C’est l’un des dix commandements de « se souvenir du jour de Shabbath pour le sanctifier ». Les sages ont construit ce « souvenir » autour de deux éléments : une déclaration verbale et le fait de l’effectuer sur une coupe de vin.
● Cette association avec le vin permet de lier une déclaration abstraite à une sensation physique, corporelle. Le vin a été choisi, en effet, « parce qu’il réjouit le coeur de l’homme » (Cf. Juges 9, 13).
● Un texte, le Vayékhoulou (« ainsi furent terminés [les cieux et la terre] », Gen. 2, 1-3), portant sur la création du monde, précède la récitation du Kiddoush ; chaque Shabbath, en effet, représente en quelque sorte un jour anniversaire de la Création du monde.
● Le Kiddoush est récité debout, entre autres parce qu’il s’agit d’un témoignage, et que les témoins, selon la tradition talmudique, témoignaient debout.

■ Les prières conclusives :
Parmi ces prières conclusives, mentionnons entre autres :
● Le Alénou léshabéah (« à nous de louer »), une prière initialement composée pour la liturgie de Rosh Hashana mais dont l’estime dont il jouissait lui a valu de figurer dans la prière quotidienne.
● La Hashkava (« rappel des noms de nos disparus ») : ce rappel de nos chers disparus est suivi du Kaddish, qui n’est pas une prière des morts comme on le croit souvent (son texte ne comporte aucune allusion à la mort ni aux défunts), mais une sanctification du Nom de Dieu.
● La prière finale, l’hymne du Yigdal (« que soit magnifié [Dieu]) : inspirée de Maïmonide, cette prière est la mise en poème de ses 13 articles de la foi juive. D’autres hymnes ou zemiroth (« chants ») sont possibles.
● L’office se termine par le souhait collectif et mutuel de « Shabbath shalom ! » (« Shabbath de paix »).