Comment se déroule l’office du vendredi soir?

L’office du vendredi soir est le moment où la communauté se retrouve pour entrer dans le Chabbat. Le Rabbin Yann Boissière et la commission « affirmer notre identité » ont voulu partager leur approche de la prière juive dans un petit livret accessible au MJLF. Cet article en reprend des extraits. Merci à eux pour ce partage.

● La prière juive a été conçue par nos sages comme un véritable scénario spirituel destiné à nous élever, progressivement, jusqu’à des moments d’authentique dialogue, voire d’intimité avec Dieu. Elle a été comparée à l’échelle de Jacob qui, de barreau en barreau, construit le lien entre la terre et le ciel.
● Ces différentes étapes dans l’élévation se retrouvent dans la structure de la prière, dont chacune des différentes parties est construite autour d’une thématique propre.

L’office du vendredi soir comporte plusieurs grandes articulations, qui sont les suivantes.

■ L’allumage des bougies de Shabbath :
● C’est au sein des communautés libérales que ce rite, à l’origine domestique, a migré vers l’office du vendredi soir. Trois raisons ont été données par la Tradition pour cet allumage des bougies : kevode Shabbath (« l’honneur du Shabbath »), Oneg Shabbath (« le délice du Shabbath ») et le shalom baït (« la paix du foyer »), laquelle exige de bien voir les visages de chacun.
● L’allumage constitue le tout premier acte du Shabbath, car c’est par la récitation de la bénédiction que nous acceptons la sainteté du Shabbath.
● Deux bougies sont allumées, en référence aux deux versions de l’injonction biblique concernant la sanctification du Shabbath : celle de Ex. 20, 8 énonçant zakhor (« souviens-toi ») et celle de Deut. 5, 12 énonçant shamor (« garde, observe »).
● Ce sont les femmes qui, dans les synagogues traditionnelles, allument les bougies du Shabbath, en référence à un commentaire passablement misogyne sur la nécessité de réparer une faute commise par Eve. Bien que le judaïsme libéral ne fasse pas cas de cette explication et, en principe, permette aux hommes d’allumer, la pratique traditionnelle a tendance à se maintenir, l’allumage étant vécu comme un acte positif de spiritualité.
● Dans le judaïsme traditionnel, les bougies sont allumées en fonction de l’horaire, variable chaque semaine, de shéquiyate ha-hama, du « coucher du soleil », auquel sont ajoutées antérieurement un temps de 18 minutes. Dans le judaïsme libéral, les offices publics se déroulent à heure fixe, afin de permettre la venue d’une audience la plus large possible, et pour que soit pleinement réalisée la mitsva de tefilla bé-tsibbour (« prière en communauté »).

■ La kabbalath Shabbath (« accueil du Shabbath ») :
● Ce sont les maîtres de la kabbale de Safed qui, au 16e siècle, ont ajouté cette séquence de prières, essentiellement constituée de six psaumes et du chant Lekha dodi. Les psaumes représentent les six jours de la semaine.
● Le Lekha dodi (« Viens ma bien-aimée ») file la métaphore d’un Shabbath présenté sous les traits d’une fiancée que l’on accueille – et dont la communauté d’Israël serait symboliquement le fiancé.
● Cette image est prise au pied de la lettre lorsque, à la fin du chant, nous nous tournons vers la porte en nous inclinant, saluant la Princesse Shabbath en personne…

■ Le Shema Yisraël et ses bénédictions :
● Cette troisième partie commence par un appel public à la prière, le Barékhou (« bénissez »), qui nécessite la présence d’un miniane (quorum d’au moins dix fidèles adultes).
● La prière du Shema, proclamation de l’unité divine, est composée de trois paragraphes tirés de la Torah ; elle est encadrée de trois bénédictions, deux avant et une après, dont les thématiques représentent une gradation : Création, Révélation et Rédemption.
● Le soir, une quatrième bénédiction de « protection » est ajoutée.

■ La Amida (« prière debout ») :
● Elle est censée représenter le summum de l’élévation spirituelle au sein de l’office. Nous nous tenons debout devant Dieu, les pieds joints, « comme les anges » disent nos Sages.
● La Amida, en ce jour de Shabbath, est composée de 7 bénédictions (contre 19 un jour de semaine) et insiste particulièrement, dans la bénédiction centrale, sur la sainteté du jour de Shabbath.

■ La drasha (« commentaire ») :
● La drasha, au sens large, est un « commentaire ». Au sens où ce mot est employé au sein de nos offices, il s’agit d’un commentaire ou d’un sermon, généralement délivré par le rabbin, sur la parasha de la semaine (portion de la Torah lue chaque semaine).
● Le mot « drasha » est dérivé d’une racine [daleth – resh – shine] signifiant « exiger », et dont la forme verbale lidrosh est employée pour la première fois dans la Bible au sujet d’Esdras. C’est ce dernier qui, au 5e siècle av. è. c. (au 4e siècle av. è.c. selon certains), instaura la lecture publique de la Torah. Le verset Es. 7, 10 nous dit qu’il se livrait à l’activité de lidrosh ète ha-Torah, « étudier la doctrine de l’Eternel ». La toute première forme, selon nos Sages, de « commentaire »…
● Pourquoi ce terme, lidrosh, « exiger » ? La manière spécifiquement juive de lire la Bible et de la commenter est en effet d’« exiger » d’un verset qu’il nous livre davantage que ce qu’il semble a priori signifier. C’est cette « exigence » qui a fondé un véritable art d’interpréter, « l’herméneutique juive », que l’on appelle drasha.
● Là où la drasha, dans les communautés traditionnelles, s’attachait généralement à exposer en hébreu quelque point halakhique (concernant la Loi juive), le mouvement réformé a opté dès ses débuts pour un « sermon », délivré dans la langue du pays et visant à élever l’âme des fidèles. Par l’ampleur de sa rhétorique et sa hauteur de vue spirituelle, le Prediger (« prédicateur ») a créé une fonction liturgique distincte dans la Réforme allemande du 19e siècle ; il en fut de fameux, qui drainaient littéralement les foules le vendredi soir !
● Les mouvements libéraux ont globalement conservé cette valorisation de la drasha du vendredi soir. Qu’elle soit développée comme une exégèse textuelle ou traite de façon plus directe de l’actualité, elle s’efforce toujours, en lien avec la parasha de la semaine, mais sans craindre de faire appel à des sources autres que celles de la tradition, de tirer du texte de la Torah une leçon de sens pour aujourd’hui.

■ La récitation du Kiddoush (« sanctification »):
● C’est l’un des dix commandements de « se souvenir du jour de Shabbath pour le sanctifier ». Les sages ont construit ce « souvenir » autour de deux éléments : une déclaration verbale et le fait de l’effectuer sur une coupe de vin.
● Cette association avec le vin permet de lier une déclaration abstraite à une sensation physique, corporelle. Le vin a été choisi, en effet, « parce qu’il réjouit le coeur de l’homme » (Cf. Juges 9, 13).
● Un texte, le Vayékhoulou (« ainsi furent terminés [les cieux et la terre] », Gen. 2, 1-3), portant sur la création du monde, précède la récitation du Kiddoush ; chaque Shabbath, en effet, représente en quelque sorte un jour anniversaire de la Création du monde.
● Le Kiddoush est récité debout, entre autres parce qu’il s’agit d’un témoignage, et que les témoins, selon la tradition talmudique, témoignaient debout.

■ Les prières conclusives :
Parmi ces prières conclusives, mentionnons entre autres :
● Le Alénou léshabéah (« à nous de louer »), une prière initialement composée pour la liturgie de Rosh Hashana mais dont l’estime dont il jouissait lui a valu de figurer dans la prière quotidienne.
● La Hashkava (« rappel des noms de nos disparus ») : ce rappel de nos chers disparus est suivi du Kaddish, qui n’est pas une prière des morts comme on le croit souvent (son texte ne comporte aucune allusion à la mort ni aux défunts), mais une sanctification du Nom de Dieu.
● La prière finale, l’hymne du Yigdal (« que soit magnifié [Dieu]) : inspirée de Maïmonide, cette prière est la mise en poème de ses 13 articles de la foi juive. D’autres hymnes ou zemiroth (« chants ») sont possibles.
● L’office se termine par le souhait collectif et mutuel de « Shabbath shalom ! » (« Shabbath de paix »).

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