Comment se déroule la lecture de la Torah ?

La lecture communautaire de la Torah est le moment où la communauté porte le texte millénaire et en renouvelle le sens. La lecture du chabbat matin reprend la paracha de la semaine. Le Rabbin Yann Boissière et la commission « affirmer notre identité » ont voulu partager leur approche de la prière juive dans un petit livret accessible au MJLF. Cet article en reprend des extraits. Merci à eux pour ce partage.

■ La lecture de la Torah :
● On considère traditionnellement que Moïse a institué la lecture de la Torah les jours de Shabbath et des fêtes, tandis qu’Ezra (Esdras) aurait institué les lectures de semaine (les lundi et jeudi), ainsi que la lecture de minhah à Shabbath (Meg. 75a) ; selon une autre version (Mekhilta 45a), les lectures de semaine auraient été instituées par les « prophètes et les anciens ».
● Nos Sages ont divisé le texte de la Torah (le « Pentateuque », à savoir les cinq livres de Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome) en 54 parties, ou parashiyoth (pluriel de parasha, « section », parfois dénommée « péricope »), de manière qu’une lecture complète du rouleau de la Torah, quels que soient les décalages dus aux Fêtes, soit accomplie au bout d’une année complète.
● La fin de cette lecture et son recommencement immédiat ont lieu lors de la fête de Simhath Torah (« joie de la Torah ») qui se déroule immédiatement après la fête de Soukkoth.
● Le principe d’une lecture ordonnée de la Torah, parasha après parasha, ne s’est imposée que progressivement, à l’époque des tannaïm (les Sages auteurs de la Mishna, qui ont vécu entre 1 et 200).
● La division en 54 parashiyoth exactement est tardive ; elle n’a été fixée définitivement qu’à la période des guéonime, les générations de Sages qui ont suivi la clôture du Talmud après 500.
● La division en chapitres est le fait d’Etienne Langton (1155-1228), évêque de Canterbury.
● La division en versets, quant à elle, est généralement attribuée à Robert Estiennes (1503-1559), imprimeur du roi François 1er exilé à Genève en 1552, pour son édition de l’Ancien Testament de 1553.

■ Le minhag (« coutume ») libéral – une lecture triennale du texte :
● Il existait à l’époque talmudique deux minhaguime concernant la façon de lire le texte de la Torah.
● Le premier, en vigueur dans les communautés de Babylonie, procédait à une lecture intégrale de la parasha chaque semaine ; le deuxième, en vigueur en Erets Israël (Palestine), ne parcourait chaque semaine qu’un tiers de la parasha et ne complétait ainsi la lecture totale du séfère qu’au bout de trois ans, voire trois ans et demi. C’est ce dernier mode que l’on appelle « lecture triennale ».
● Les communautés libérales, dès le 19e siècle, ont repris cette lecture triennale, à la fois pour abréger les offices, mais aussi dans un souci de compréhension : ce qui est cantilé en hébreu est la plupart du temps traduit et relu (ou paraphrasé, ou commenté) en français, afin que chacun se pénètre bien du texte.

■ Les aliyoth (« montées [à la Torah] »), le shomère (« gardien ») et les dons :
● Sept personnes sont appelées à la Torah le samedi matin. Au temps du Talmud, ces personnes lisaient elles-mêmes dans le séfère-Torah, mais cette compétence s’étant progressivement perdue, la coutume consiste depuis lors à ce que le olé (la personne qui « monte ») prononce une bénédiction avant et après la lecture, cette dernière étant assurée par l’officiant.
● Dans nos communautés libérales, femmes et hommes montent indifféremment à la Torah (seuls les hommes montent dans les communautés traditionnelles). Les qualités de cohen ou de lévi n’étant plus considérées comme des statuts à la certitude historique indubitable, les priorités de lecture qui leur sont traditionnellement attribuées (le cohen montant en premier, le lévi en deuxième) ne sont plus observées.
● Le shomère (« gardien ») est la personne qui, lors de la lecture, vérifie que le texte est correctement prononcé et cantilé. Alors que le séfère-Torah ne comporte ni voyelles ni ponctuation, il dispose d’un livre spécial (le « tikkoune ») pourvu de toutes les indications nécessaires. L’exactitude du texte est chose si importante que le shomère n’hésite pas à reprendre le lecteur à haute voix si une erreur est commise.
● « Monter » à la Torah constitue un honneur, et soutenir financièrement la communauté où l’on prie est une mitsva (un « commandement »). C’est pourquoi les Sages ont institué une politique de don obligatoire : toute personne qui monte a le devoir de faire un don à la communauté (ou une promesse de don, pour ne pas briser la sainteté du Shabbath). Ces dons sont annoncés publiquement dans maintes synagogues traditionnelles ; ils ne le sont pas dans les synagogues libérales, mais l’obligation n’en demeure pas moins…

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Comment se déroule l’office du samedi matin?

L’office du samedi matin est le moment où la communauté se retrouve pour célébrer le Chabbat, prier et étudier. Le Rabbin Yann Boissière et la commission « affirmer notre identité » ont voulu partager leur approche de la prière juive dans un petit livret accessible au MJLF. Cet article en reprend des extraits. Merci à eux pour ce partage.

L’office comporte cinq grandes parties, plus la partie consacrée à la lecture de la Torah.

■ Les birkhoth ha-shahar, « bénédictions du matin » :
Ces bénédictions expriment, à travers notre expérience corporelle du renouveau matinal, notre reconnaissance envers Dieu qui renouvelle sans cesse l’œuvre de la Création et redonne vie au monde tout entier.

■ Les pesouké dé-zimra, « versets du chant » :
● Une série de psaumes constitue l’essentiel de cette partie, dont le thème principal est la louange de Dieu (hallélou yah, « louez Dieu »).
● Cette partie est encadrée par deux bénédictions : la bénédiction initiale du Baroukh shé-amar (« Béni soit celui qui a parlé [et le monde fut]) et la bénédiction finale du Yishtabah (« qu’il soit loué »).

■ La prière du Shema Yisraël (« écoute Israël ») encadrée de ses bénédictions :
● Pour un commentaire sur cette partie, voir ci-dessus à « office du vendredi soir ».
● Lors de l’office du matin, les bénédictions qui encadrent le Shema sont ramenées au nombre de trois.

■ La Amida (« prière debout ») :
Voir ci-dessus à « office du vendredi soir ».

● La lecture de la Torah :
Cette partie fait l’objet d’un développement spécifique (voir ci-après).

■ Les prières conclusives :
Après l’ascension progressive des quatre premières parties, cet ensemble, composé de prières diverses, représente en quelque sorte une façon de « redescendre sur terre ». Parmi les prières remarquables de cette partie, on retrouve :
● Le Alénou léshabéah (« à nous de louer ») : cf. commentaire du vendredi soir.
● La Hashkava (« rappel des noms de nos disparus ») : cf. commentaire du vendredi soir.
● La prière pour la France : formulant le vœu de la paix de l’Etat et de ses dirigeants, elle exprime le lien indéfectible et la profonde compatibilité de nos valeurs avec celles de la République.
● La prière pour Israël, quant à elle, exprime le lien de fraternité qui unit Israël et la diaspora, et notre souci que soit instauré au Moyen-Orient une paix juste et durable.
● La prière finale du Eïne kélohénou (« Nul ne ressemble à notre Dieu »).

7 raisons et 7 versets en faveur de l’étranger

chevrati

 

La Torah écrite, le pentateuque dans sa perception juive, cite souvent l’étranger pour rappeler les obligations de chacun à son égard. Nous avons parlé du sens ce ce respect dans notre précédent article, « Aimer le converti ».

 

Notre histoire, notre empathie, notre volonté d’imiter Dieu dans ses qualités, la demande expresse faite par Dieu, notre amour de la justice, la logique qui veut que ceux qui ont les mêmes devoirs partagent les mêmes droits, et notre promesse solennelle nous font obligation de protéger l’étranger.

Le lévitique mentionne l’obligation d’aimer l’étranger à peine quelques versets après le célèbre « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »:
Lev 19 :33,34
Si un étranger vient séjourner avec toi, dans votre pays, ne le molestez point. 34 Il sera pour vous comme un de vos compatriotes, l’étranger qui séjourne avec vous, et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers dans le pays d’Egypte je suis l’Éternel votre Dieu.
וְכִי-יָגוּר אִתְּךָ גֵּר, בְּאַרְצְכֶם–לֹא תוֹנוּ, אֹתוֹ. לד כְּאֶזְרָח מִכֶּם יִהְיֶה לָכֶם הַגֵּר הַגָּר אִתְּכֶם, וְאָהַבְתָּ לוֹ כָּמוֹךָ–כִּי-גֵרִים הֱיִיתֶם, בְּאֶרֶץ מִצְרָיִם: אֲנִי, יְהוָה אֱלֹהֵיכֶם.

Ce passage souligne l’empathie naturelle que nous devons éprouver compte tenu de notre histoire: nous savons ce qu’est la condition d’étranger, et nous ne devons pas « faire à autrui ce que nous ne voulons pas subir ». L’empathie nous enjoint de le protéger.

Dans le Deutéronome, Dieu se pose lui-même comme le gardien des opprimés, et ici également le guer est mentionné:
Deut 10 :17-19
Car l’Éternel, votre Dieu, c’est le Dieu des dieux et le maître des maîtres, Dieu souverain, puissant et redoutable, qui ne fait point acception de personnes, qui ne cède point à la corruption; 18 qui fait droit à l’orphelin et à la veuve; qui témoigne son amour à l’étranger, en lui assurant le pain et le vêtement. 19 Vous aimerez l’étranger, vous qui fûtes étrangers dans le pays d’Egypte!
כִּי, יְהוָה אֱלֹהֵיכֶם–הוּא אֱלֹהֵי הָאֱלֹהִים, וַאֲדֹנֵי הָאֲדֹנִים: הָאֵל הַגָּדֹל הַגִּבֹּר, וְהַנּוֹרָא, אֲשֶׁר לֹא-יִשָּׂא פָנִים, וְלֹא יִקַּח שֹׁחַד. יח עֹשֶׂה מִשְׁפַּט יָתוֹם, וְאַלְמָנָה; וְאֹהֵב גֵּר, לָתֶת לוֹ לֶחֶם וְשִׂמְלָה. וַאֲהַבְתֶּם, אֶת-הַגֵּר: כִּי-גֵרִים הֱיִיתֶם, בְּאֶרֶץ מִצְרָיִם
.
Ici encore, le positionnement divin en faveur des faibles soit se traduire par une obligation de tous de les défendre, de même que le Dieu de liberté nous a défendu dans notre faiblesse lorsque nous étions étrangers en Égypte. Nous devons agir à l’image de Dieu.

Au delà de l’amour qui peut sembler une notion un peu vague, c’est le droit au sens strict du terme qui doit être garanti:
Deut 24 :18
Ne fausse pas le droit de l’étranger ni celui de l’orphelin, et ne saisis pas comme gage le vêtement de la veuve. 18 Rappelle-toi que tu as été esclave en Egypte et que l’Éternel, ton Dieu, t’en a affranchi; c’est pour cela que je t’ordonne d’agir de la sorte.
לֹא תַטֶּה, מִשְׁפַּט גֵּר יָתוֹם; וְלֹא תַחֲבֹל, בֶּגֶד אַלְמָנָה. יח וְזָכַרְתָּ, כִּי עֶבֶד הָיִיתָ בְּמִצְרַיִם, וַיִּפְדְּךָ יְהוָה אֱלֹהֶיךָ, מִשָּׁם; עַל-כֵּן אָנֹכִי מְצַוְּךָ, לַעֲשׂוֹת, אֶת-הַדָּבָר, הַזֶּ
ה

Le passage suivant pose l’égalité de droit et de devoir de ceux qui veulent s’adjoindre aux hébreux. Pour les questions rituelles, l’étranger qui veut participer à la vie spirituelle juive doit également en accepter les principes, en particulier la circoncision. On notera que c’est la seule condition posée par la Torah elle-même en termes d’entrée dans le judaïsme. Bien sûr, nous savons que le judaïsme rabbinique s’appuie principalement sur la torah orale, de telle sorte que le processus actuel inclut la circoncision mais demande également d’autres types d’engagements. On retiendra que l’étranger peut s’adjoindre aux pratiques religieuses des bné israel et en partage alors les prérogatives:
Exode 12 :48
Si un étranger, habite avec toi et veut célébrer la pâque du Seigneur, que tout mâle qui lui appartient soit circoncis, il sera alors admis à la célébrer et deviendra l’égal de l’indigène; mais nul incirconcis n’en mangera. 49 Une seule et même loi régira l’indigène et l’étranger demeurant au milieu de vous.
וְכִי-יָגוּר אִתְּךָ גֵּר, וְעָשָׂה פֶסַח לַיהוָה–הִמּוֹל לוֹ כָל-זָכָר וְאָז יִקְרַב לַעֲשֹׂתוֹ, וְהָיָה כְּאֶזְרַח הָאָרֶץ; וְכָל-עָרֵל, לֹא-יֹאכַל בּוֹ. מט תּוֹרָה אַחַת, יִהְיֶה לָאֶזְרָח, וְלַגֵּר, הַגָּר בְּתוֹכְכֶם

Nombres 9 :14
Et si un étranger habite avec vous et veut faire la Pâque en l’honneur de l’Éternel, il devra se conformer au rite de la Pâque et à son institution: même loi vous régira, tant l’étranger que l’indigène.
וְכִי-יָגוּר אִתְּכֶם גֵּר, וְעָשָׂה פֶסַח לַיהוָה–כְּחֻקַּת הַפֶּסַח וּכְמִשְׁפָּטוֹ, כֵּן יַעֲשֶׂה: חֻקָּה אַחַת יִהְיֶה לָכֶם, וְלַגֵּר וּלְאֶזְרַח הָאָרֶץ

La fin du Deutéronome reprend ces principes et pose des garanties pour l’avenir: Alors qu’ils sont encore dans le désert, les enfants d’Israël doivent déjà prévoir la mise en place des droits de l’étranger à travers la cérémonie solennelle qui aura lieu sur le mont Héval, au moment de l’entrée en Canaan, lorsque les prêtres énonceront les interdits fondateurs et que le peuple entier devra répondre « amen »:
Deut 27 :21
Maudit, celui qui fausse le droit de l’étranger, de l’orphelin ou de la veuve! » Et tout le peuple dira: Amen! אָרוּר, מַטֶּה מִשְׁפַּט גֵּר-יָתוֹם–וְאַלְמָנָה; וְאָמַר כָּל-הָעָם, אָמֵן.

Nous devons être respectueux de l’Étranger et du converti car nous en avons fait la déclaration solennelle au moment d’entrer en Canaan.

A l’époque biblique, la « conversion » se déroule par intégration, et toutes ces lois sont destinées à permettre que cette intégration se fasse de façon respectueuse et viable, humaine.
Aujourd’hui, la « conversion » se déroule comme un processus qui inclut l’intégration à une communauté, et en ce sens, toutes les lois de bienveillance mentionnées par la torah sont applicables.
Ce chemin de l’entrée dans le judaïsme est différent dans la mesure où le peuple juif en France existe en tant que minorité. S’intégrer à une minorité représente une difficulté particulière. C’est la raison pour laquelle ceux qui veulent « venir nous rejoindre » sont plus que jamais invités à peser leur décision.

Mais c’est également la raison pour laquelle il nous appartient de les accueillir avec toute la bienveillance possible et de reconnaitre le mérite qu’ils ont à effectuer ce choix courageux.

Aimer le converti dans la tradition juive

La Torah insiste sur l’importance d’aimer le Guer, l' »habitant », l’étranger.

Bien sûr, le candidat à conversion n’est pas un étranger au sens strict du terme, et la personne qui s’est convertie est juive en tout point.
Bien sûr, la Torah ne parle pas de « converti » puisqu’à son époque il n’existe pas de Beth Din au sens strict et la conversion n’a pas encore pris sa forme talmudique et post-talmudique.
C’est justement en venant habiter dans une maison juive que l’on devient juif à l’époque biblique.
Et pour être encore plus exact, il faudrait dire que l’on devient hébreu, le judaïsme ne faisant son apparition en tant que tel que par la suite.

Néanmoins, cette insistance de la Torah écrite à propos de la condition du Guer est tout à fait remarquable.
Elle souligne bien sûr l’importance du commandement de le respecter et de l’aimer.
Il est remarquable que cette injonction vienne justement s’ajouter au célèbre « tu aimeras ton prochain comme toi-même », sous la forme de l’expression « tu aimeras l’étranger comme toi-même ».

Ces répétitions expriment peut-être également le risque permanent de sous-estimer notre devoir de respect envers les personnes les plus sensibles et les moins bien représentées.

L’habitant est celui qui est d’une autre origine et vit au sein d’une société qui n’est pas la sienne à la base.
De ce fait, il est plus vulnérable, de telle sorte que nous devons prendre particulièrement soin de lui.
Comme la veuve, l’orphelin ou le pauvre, celui qui vient d’ailleurs est moins bien armé.

Le pentateuque insiste sur le fait qu’ayant été nous-mêmes étrangers en pays d’Égypte, nous devons comprendre et soutenir les « étrangers ». C’est même ainsi que se conclut la prière du Chema Israël: Je suis l’Éternel votre Dieu, qui vous ai fait sortir du pays d’Égypte pour être pour vous un Dieu, je suis l’Éternel votre Dieu. »
La sortie d’Égypte est fondatrice à la fois de la liberté juive et de sa responsabilité.

Les sources que nous reprendrons dans le prochain article sont spécifiques au Guer, à l’Autre lorsqu’il vient vivre près de moi, dans ma maison. Le respect d’autrui s’incarne également dans toutes les règles relatives aux autres cultures, toutes dérivées du premier humain, « adam harichon », premier humain père-mère de toute l’humanité, gage de l’unité de famille de toutes les cultures. A cela s’ajoute le message de Dieu à Avraham qui affirme qu’il sera une « bénédiction pour toutes les familles de la terre », insistant ainsi sur le partage de la bénédiction après des peuples dans leur diversité.

Tout au long de l’histoire juive, différentes sources soutiennent cette injonction.
Nous verrons la semaine prochaine quelques versets de la Torah qui en font état.