Les conversions de Pourim dans le Talmud

Nous connaissons le judaïsme comme une spiritualité minoritaire vivant dans des cultures bien plus larges et dominantes. Pourtant, la question a pu se poser dans l’histoire d’une prépondérance du judaïsme en terme de nombre ou de prestige. Notons au passage que tel est le cas en Israël, où le judaïsme a trouvé depuis 1948 une position de liberté, la possibilité de se définir comme la référence et non comme l’exception.

Cette différence de contexte a-t-elle une influence sur la conception juive de la conversion?

Sans prendre parti sur l’historicité de l’histoire d’Esther, il est intéressant de noter que la méguila évoque cette question:

 » Dans tous les pays et dans toutes les villes, dans tous les endroits où la parole du roi son ordre parviennent, c’est la joie et les réjouissances pour les juifs, des festins et des jours de congé et beaucoup des habitants du pays se font juifs car la peur des juifs les a atteint. »
וּבְכָל-מְדִינָה וּמְדִינָה וּבְכָל-עִיר וָעִיר, מְקוֹם אֲשֶׁר דְּבַר-הַמֶּלֶךְ וְדָתוֹ מַגִּיעַ, שִׂמְחָה וְשָׂשׂוֹן לַיְּהוּדִים, מִשְׁתֶּה וְיוֹם טוֹב; וְרַבִּים מֵעַמֵּי הָאָרֶץ, מִתְיַהֲדִים–כִּי-נָפַל פַּחַד-הַיְּהוּדִים, עֲלֵיהֶם.
(Esther 8:17)

Que dit le Talmud de ce genre de situation?
Le traité Yébamot du Talmud Babylonien évoque dans une beraïta l’influence du contexte sur la validité des conversions:
On n’acceptera pas de candidats à la conversion à l’époque messianique de même qu’ils n’acceptaient pas de convertis à l’époque de David et de Salomon.
אין מקבלין גרים לימות המשיח כיוצא בו לא קבלו גרים לא בימי דוד ולא בימי שלמה
(Talmud Babylonnien Yébamot 24b)

On peut s’interroger sur la raison de cette décision. On peut se demander si les religions auront le même impact aux temps messianiques. On peut aussi penser que rejoindre la majorité dominante n’est pas une bonne raison d’implication spirituelle.

Dans le même paragraphe, le talmud évoque cette question:

Un homme qui s’est converti pour épouser une femme et une femme qui s’est convertie pour épouser un homme et aussi celui qui s’est converti pour accéder à la table des rois ou aux serviteurs de Salomon ce ne sont pas vraiment des convertis, telles sont les paroles de Rabbi NéHemia puisque Rabbi NéHémia dit : « Les convertis des lions et les convertis des rêves et les convertis de Mardochée et Esther ne sont pas réellement des convertis jusqu’à ce qu’ils se convertissent à notre époque »… Rabbi ItsHak bar Chmouel bar Marta a dit au nom de Rav, le droit positif suit l’opinion qu’ils sont tous effectivement des convertis valides.
אחד איש שנתגייר לשום אשה ואחד אשה שנתגיירה לשום איש וכן מי שנתגייר לשום שולחן מלכים לשום עבדי שלמה אינן גרים דברי ר’ נחמיה שהיה רבי נחמיה אומר אחד גירי אריות ואחד גירי חלומות ואחד גירי מרדכי ואסתר אינן גרים עד שיתגיירו בזמן הזה בזמן הזה ס »ד אלא אימא כבזמן הזה הא איתמר עלה א »ר יצחק בר שמואל בר מרתא משמיה דרב הלכה כדברי האומר כולם גרים הם

Rachi explique ce que sont les convertis des lions (ceux qui veulent échapper aux lions comme dans le livres des Rois II chap.17), les convertis des rêves (ceux à qui un devin a recommandé de se convertir) et les convertis de Mardochée  et Esther (ceux qui sont évoqués dans notre passage).

Il est intéressante de préciser ce que sont les « convertis des lions ». Il s’agit des personnes déportées par le roi d’Assyrie pour remplacer les juifs exilés de Samarie. Dans un premiers temps, nous dit le livre des rois, ils continuèrent à révérer des idoles, mais « dieu » leur envoya des lions qui les dévorèrent jusqu’à ce qu’ils adoptent le judaïsme. Ici, ce sont des conversions provoquées à dessin par le Dieu d’Israël qui sont contestées. Ce passage s’inscrit donc dans la tradition contestataire du divin qui est si chère au judaïsme talmudique et rabbinique jusqu’à nos jours. Par ailleurs, ils s’agit de conversions de forces qui sont contestées.

Rabbi NeHamia réaffirme donc ici la liberté de croyance, et refuse l’usage de la violence, y compris lorsqu’elle émanerait de Dieu lui-même! Cette opinion est donc d’une grande importance en termes de conception de la conversion.

L’opinion de Rabbi ItsHak bar Chemouel bar Marta vient préciser ce qu’il en est du droit positif, de la halaHa: A posteriori, il n’est pas possible de remettre en cause ces conversions, de même que cela n’est pas justifié aujourd’hui, autant pour des raisons hilHatiques que des raisons sociales.

Pour conclure, nous sommes tous invités à partager la joie et la folie de la fête de Pourim et à lire la Méguila, en nous interrogeant sérieusement sur les questions qu’elle soulève, mais en respectant également son esprit de dérision.

Alors que les antisémites cultivent leur peur autour de l’idée d’un judaïsme destructeur qui dominerait le monde, accordons-nous le droit, une fois par an, de fantasmer sur l’idée d’une toute puissance dans nous avons toujours été très éloignés.

Vous connaissez l’histoire du juif qui lit un journal antisémite en terrasse. Son ami l’aperçoit et s’insurge. Toi? Tu lis un tel torchon! Ecoute, lui répond-il, dans les journaux habituels, je lis que nous sommes poursuivis, attaqués, calomniés. Tu comprends bien que cela me trouble. Alors que là, je lis que les juifs sont riches, puissants, qu’ils contrôlent le monde. De temps en temps, ça fait du bien!

A l’occasion de Pourim, la fête nous invite à nous appuyer sur le rêve de la sécurité du dominant tout en déjouant en nous toute tendance à prendre ce rêve de grandeur au sérieux…